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Gabon: Projet de « révision » constitutionnelle: “anticonstitutionnelle et antidémocratique” selon Me Sylvain OBAME

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Le projet de loi portant modification de la Constitution, a été adopté par l’Assemblée Nationale le 24 décembre 2020. Alors qu’il doit encore être voté par le Sénat, le texte continue de susciter la controverse, notamment dans le paysage juridique, où les dispositions dudit texte attirent de nombreuses critiques. Dans une tribune parvenue à la rédaction de “Vox Populi” (VXP241), Maître Sylvain OBAME, avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit Public et Président du Réseau International des Avocats, a battu en brèche avec force et détails, les fondements juridiques du projet et mis au jour, ses objectifs politiques sous-jacents. Notre rédaction vous en propose ci-dessous, la lecture in extenso.

29 ans après sa promulgation, la Constitution du 26 mars 1991 va connaître sa 8ème révision, avec le projet de loi portant révision adopté par le Conseil des Ministres en date du 18 décembre 2020. C’est la révision du président, par le parti présidentiel et pour le président, une « révision fleuve » portant sur 26 articles.

On ne peut disconvenir qu’elle ouvre une nouvelle fois la voie vers la transformation de la force en droit et l’obéissance en devoir et finit d’appliquer la théorie chère à Rousseau, «le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir».

Je consacrerai néanmoins mon analyse à une approche micro-constitutionnelle, dans laquelle je m’intéresse plus particulièrement aux changements des articles constitutionnels sur l’exercice des fonctions présidentielles en cas de vacance de la présidence de la République et sur le mode de désignation des Sénateurs, qui forment un principe constitutionnel satellite de la démocratie populaire et j’en terminerai par la création d’un gouvernement des juges, étayée par l’ampleur des pouvoirs conférés à la Cour constitutionnelle.

L’article 13 ou l’instauration d’un exécutif tétracéphale illégitime

Il s’évince de cet article que les fonctions du Président de la République, seront désormais exercées par un triumvirat composé du Président du Sénat et de celui de l’Assemblée Nationale ainsi que du Ministre de la défense, dans les conditions de vacance de la Présidence de la République ou d’empêchement définitif de son titulaire. À ces trois personnalités s’ajoute le Premier ministre, qui forme avec le Président de la République en période normale un Exécutif bicéphale dyarchique.

On peut donc plaider, avec des raisons solides à l’appui, qu’il est prévu que le Gabon soit dirigé temporairement par un Exécutif tétracéphale ou quadricéphale partiellement illégitime. Le tétracéphalisme se trouve uniquement au niveau de l’Exécutif. Mais les fonctions présidentielles sont exercées par un collège tricéphale.

L’élément «tricéphal» est acté par un intérim dirigé par trois têtes, qui sera désormais le détenteur suprême du pouvoir exécutif. L’élément «partiellement illégitime» est acquis par la présence d’une tête dépourvue de toute légitimité politique au sein du collège : le Ministre de la Défense. Il suffira de suggérer pour s’en convaincre de l’illégitimité du Ministre de la Défense à assumer la charge présidentielle par son statut de personnalité politique nommée et non élue. Il ne jouit ainsi d’aucune légitimité électorale pour prétendre assumer la charge présidentielle, même de façon intérimaire.

Une telle solution confine à une violation flagrante de la Constitution, laquelle dispose en son article 9 nouveau que : «Le Président de la République est élu pour sept (7) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible». Il est donc élu par le peuple, lequel, aux termes de l’article 3 de la même Constitution, est le détenteur exclusif de la souveraineté nationale, qui est libre de l’exercer directement par le référendum ou par l’élection ou indirectement par les institutions constitutionnelles. Le Ministre n’est ni une autorité élue ni une institution constitutionnelle, pour qu’il puisse être autorisé à exercer une charge qui est confiée à son titulaire par le peuple souverain.

Conférer la charge présidentielle à un Ministre quel qu’il soit est proprement un détournement de la souveraineté populaire, en plus d’être une violation des règles démocratiques et constitutionnelles. Par cette nouvelle révision constitutionnelle, nous sommes face à ce que Moderne considère comme un «déplacement de la réalité de la situation politique, de la structure sociale ou de l’équilibre des intérêts sans que pour autant que ce changement soit authentifié dans la lettre de la constitution écrite».

En effet, la réalité de la situation politique actuelle incline plutôt à consolider les acquis démocratiques en faisant du peuple l’alpha et l’oméga de tout bouleversement constitutionnel d’une telle ampleur.

Le changement constitutionnel en cours en est plutôt aux antipodes de cette consolidation puisqu’il  se construit autour d’un désir personnel qui est celui du Président en exercice qui envisage d’installer un triumvirat sans lien avec la réalité sociale et politique du pays. Or le droit a besoin d’être en rapport avec le réel mouvement sociétal. Le cas échéant, il naîtra une désolidarisation entre le droit et la réalité sociale alors que le droit est le reflet de l’ordre social auquel il a vocation à s’appliquer.

Dès lors, on ne peut que reconnaître que la révision constitutionnelle projetée répond à des besoins dont les motivations sont inintelligibles mais on doit aussi admettre qu’il est normal de reformuler une constitution, laquelle est le produit spontané et fluctuant de la réalité sociale qui ne peut que fluctuer au gré des évolutions de cette réalité, bien qu’on puisse déplorer une certaine inflation révisionniste.

Pour autant, la solution du problème des modalités d’exercice des fonctions présidentielles en période de vacance ou d’empêchement définitif ou temporaire ne se trouve pas dans l’abolition des acquis démocratiques à l’ombre de la souveraineté populaire, qui jusqu’ici n’ont d’ailleurs montré aucune faille sur cette hypothèse de la vacance du pouvoir, depuis 1991, la seule vacance du pouvoir connue s’étant déroulée sans anicroches, mais dans leur résolution par un système exclusif de toute autorité dépourvue de légitimité populaire et donc sans le recours à cette formule triumviraire antidémocratique.

À rebours, on aurait pu imaginer une autre ingénierie constitutionnelle, consistant à renforcer les pouvoirs du Vice-Président en le faisant par exemple élire par les deux chambres du Parlement pour bénéficier d’une légitimité indirecte lui permettant de figurer dans le nouvel exécutif tricéphale exceptionnel à la place du Ministre de la Défense. Au lieu de quoi, le Vice-Président devient une fonction facultative (article 14a niouveau), pourvue au gré des humeurs du Président de la République, avec pour seule nouvelle attribution, empreinte toute aussi de vacuité, la tutelle de la Médiature de la République (article 14d nouveau).

On aurait pu se satisfaire qu’une telle révision installant une présidence à trois têtes et un Exécutif à quatre têtes soit adoptée par référendum, afin que le droit de l’État, soit concilié avec l’Etat de droit, la souveraineté du peuple ne pouvant être entamée que par le peuple lui-même.

Mais, n’en déplaise, dès lors que la majorité présidentielle coïncide avec la majorité parlementaire, et surtout que la constitution offre un choix au Président de la République, la voie du Congrès n’est ni juridiquement ni politiquement attaquable. Le droit n’a-t-il pas un contenu politique ? Le droit qui est un instrument d’exercice du pouvoir aux mains des gouvernants est également un produit du pouvoir dominant, qui n’est autre que le pouvoir gouvernant. Nous devons être réalistes.

Quant à l’intronisation des présidents des deux chambres au rang des présidents de la République par exception, cela n’est pas à mon sens attentatoire à la démocratie ou à la constitution. Et pour cause, l’un est issu d’une chambre dont les membres sont élus directement par le peuple et l’autre l’est indirectement mais par des membres qui sont élus directement par le peuple (les collectivités locales). Les chambres qu’ils président sont composées d’élus représentants d’une manière ou d’une autre la nation dans sa globalité.

Par ailleurs, certis l’un comme l’autre d’une légitimité électorale, ils figurent au rang des institutions constitutionnelles, par lesquelles la souveraineté nationale, appartenant au peuple, peut s’exercer, comme il s’en évince de l’article 3 de la Constitution. Le Ministre de la Défense ne peut se prévaloir d’une pareille légitimité, si bien qu’il est d’office disqualifié.

Mais, le peuple souverain n’est pas dupe. Il est pleinement conscient que la fonction confiée au Ministre de la Défense tient à la volonté du Président de la République d’instaurer un Etat militaire depuis le sommet de avec l’objectif inavoué de s’assurer un avantage décisif dans le maintien aux commandes de l’Etat et donc de détruire les vélléités d’assouvissement des ambitions de puissance de chacun par n’importe quel moyen au cours d’une expérience de vacance de pouvoir.

Cette clé de lecture vient conforter l’analyse établie avec brio par ADJA Djounfoune, soutenant que la révision constitutionnelle est perçue d’abord comme «une technique d’établissement de la monopolisation du pouvoir par le chef de l’Etat» ; et ensuite comme «un instrument de pérennisation du système politique». On ne peut s’empêcher de soutenir que la révision constitutionnelle du 18 décembre 2020 exorcise le régime autoritaire et anémie la souveraineté populaire, la démocratie et l’Etat de droit.

Une dernière précision doit encore être introduite, indispensable à la compréhension d’une révision constitutionnelle de disqualification du Premier ministre : le ministre de la Défense est membre du gouvernement, nommé par le Président de la République sur proposition du premier ministre. En exerçant par intérim les fonctions présidentielles, il devient de facto le supérieur hiérarchique du premier ministre qu’il peut désormais révoquer et devant lequel il sera responsable (article 28 alinéa 2). 

Ce galimatias inexplicable peut contenir des virtualités de désillusion, à moins que ne ce soit quelques possibilités de pièges, voire de manipulation. L’exposé est rapide et cavalier, mais il paraît assez explicite, pour procurer aux questions qui se posent des réponses univoques et solides. La conclusion est limpide : Si on part de la conception imagée de Robert DOSSOU, selon laquelle la constitution : «c’est à la fois le concentré de l’histoire d’un peuple et la plateforme de ses espérances». Il est patent que la révision constitutionnelle en projet n’est ni le concentré de l’histoire ni une plateforme des espérances populaires mais une destruction de leur désir d’avenir dès lors qu’elle se réalise en son absence.

Or l’enjeu d’une nouvelle constitution est aussi, et surtout, l’ampleur de l’adhésion à ce projet dans un contexte politique tendu. Une constitution vient sanctionner, tout en sanctuarisant les invariants historiques, un ordre social établi et un rapport de force politique structuré par le libre jeu démocratique. Et toute question sur la nature politique de l’État ne peut être d’origine marginale, non populaire, sinon elle devient suspecte.

Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette révision semble également permettre de sortir d’un régime présidentialiste rigide et d’éviter des troubles et crises importants, dans la mesure où elle prévoit  ce mécanisme d’exercice des fonctions présidentielles, qui bien qu’imparfaites, comble un vide constitutionnel qui pouvait instaurer une instabilité politique et endommager le fonctionnement régulier des institutions, du fait du sentiment de vacuité à la tête du pays. Ce nouveau mécanisme semble éviter toute révision constitutionnelle par la Cour constitutionnelle comme elle s’y est adonnée le 14 novembre 2018 pour combler un vide (imaginé ou réel), mais en violation de la norme dont elle est pourtant chargée de sanctionner les violations.

Il reste à effleurer un dernier point : cette révision constitutionnelle, qui est en réalité la révision du président, par le président et pour le président, et qui s’effectue sans le peuple et contre le peuple n’est au final et au regard de son contenu que le résultat d’une politisation du droit et d’une juridicisation du discours politique. C’est ainsi qu’elle mérite d’être appréhendée.

L’article 35 nouveau ou l’effacement du bicamérisme

Le Parlement gabonais est bicaméral, car il est composé de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Le Sénat est la chambre haute du parlement qui est venue compléter le paysage législatif gabonais en 1997, en accord avec la constitution, en vue de représenter les collectivités locales. Le Sénat compte 102 sénateurs, élus pour 6 ans au suffrage universel indirect par les membres des conseils municipaux et des assemblées départementales.
Le renouvellement du Sénat est intégral. Sa première élection date du 9 février 1997; son dernier renouvellement, du 13 décembre 2014. Le Sénat joue quatre rôles : contrôler l’action gouvernementale, légiférer, évaluer les politiques publiques (article 36 nouveau), et représenter les collectivités locales (article 35 nouveau alinéa 3).

Déjà Maître absolu des horloges, le président de la République va accroître davantage son pré-carré en nommant une partie des sénateurs, par inspiration aux régimes camerounais, ivoirien et congolais. Institution incontournable et fort utile, la désignation d’une partie des membres du Sénat va anesthésier son rôle de contrôle de l’action du pouvoir exécutif, conformément à l’article 36 de la Constitution qui dispose que «le Parlement vote la loi, consent l’impôt et contrôle l’action du pouvoir exécutif dans les conditions prévues par la présente Constitution».

L’on est en droit de s’attendre à une réelle performance du Sénat. D’ailleurs, le mot Sénat ne vient-il pas de sénatorium, c’est-à-dire chambre des anciens, qui pourvus de sagesse, aident à normaliser la société gabonaise avec vigilance et dextérité. La nomination d’une partie des sénateurs conduit à les rendre dociles face à celui qui les nomme. Ils ne pourront pas contrôler librement l’action voulue par ce dernier.

On sait que la politique de la nation est déterminée par le Président de la République (article 8). Le Gouvernement conduit simplement cette politique sous l’autorité du Président de la République qui l’a déterminée (article 28). Contrôler l’action gouvernementale revient indirectement à contrôler l’action du Président de la République.

Dès lors par cette nomination, le Président de la République s’assure une loyauté et une allégeance sans faille des sénateurs nommés puisque s’il les nomme, il les révoque aussi, selon la théorie du parallélisme des formes. Donc, pour espérer devenir sénateur et certainement le demeurer, il faudra se montrer bienveillant et docile envers le Président de la République. Cette voie anéantit l’ambition des acteurs de l’avènement démocratique de faire du Gabon un pays démocratique privilégiant l’élection à toutes les échelles institutionnelles.

Cette réforme entre en contradiction avec l’acquis démocratique de l’ère post monocratique, dès lors que le Sénat créé à la suite des accords de Paris devient non plus la haute chambre mais une continuité du gouvernement puisque désormais, une partie de ses membres sera nommée par le Président de la République qui nomme également les membres du gouvernement.

Il est démocratiquement inadmissible qu’une seule personne s’approprie le pouvoir et agisse à son gré et suivant ses humeurs. Par ce levier de contrôle qu’il détient à travers ces nominations, la Constitution révisée met ainsi en place un pouvoir personnel dans lequel le président de la République est comme un empereur qui s’immisce dans le pouvoir législatif. Plutôt que d’extraire des pouvoirs au Président de la République, il est ici question de lui en donner. Cette révision devient alors un moyen étatique de colonisation du Sénat.

La théorie des contrepoids et de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu avait pour but d’ éviter qu’un des pouvoirs abuse de l’autre : C’est raté dans le cas du Gabon.

La Cour constitutionnelle : la crainte d’un gouvernement des juges.

Il est à craindre l’avènement d’un gouvernement des juges par le renforcement remarqué des pouvoirs de la Cour constitutionnelle. Le plus remarquable des pouvoirs étant celui de décider de façon discrétionnaire de la prorogation des délais ou non de cette vacance et de l’organisation de l’élection.

Mais en sa qualité de défenseure servile du Président de la République et de son appétence pour la Tour de Pise, on sait de quel côté elle penche toujours : du même.

Pour finir, le choix d’un triumvirat en cas de vacance de la présidence de la République tend à protéger le président de l’ambition que peut avoir le président du Sénat, actuellement seul à pouvoir assurer l’intérim présidentiel à organiser sa chute du pouvoir. L’argument consistant à présenter cette réforme comme un moyen de mettre le pays à l’abri des tourments divers et de préserver la paix et la stabilité nationales n’est qu’un discours politique légitimateur.

Mais, nous l’avons déjà indiqué : le droit n’est que le produit du politique dominant, et donc du gouvernant.

Sylvain OBAME
Avocat au Barreau de PARIS
Docteur en Droit Public
Président du Réseau International des Avocats : www.riag-avocats.org

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